Chapitre 9 :

La transformation de la SA

Section 1 : Conditions générales de transformation des SA

L’article 408 du CSC permet aux sociétés de se transformer « conformément aux dispositions du CSC et sans préjudice des législations en vigueur dans le domaine ».

§ A. Objectifs

Aux termes de l’article 409 du CSC « La transformation ou le groupement de sociétés doivent permettre la réalisation de l’un des objectifs suivants :

-     L'adaptation des mutations économiques tant internes qu'internationales ;

-     La réalisation d'un capital permettant davantage d'investissement, d'emploi et de productivité ;

-     Le développement des moyens de travail et de distribution ;

-     L'acquisition de technologies nouvelles et l’amélioration de la qualité du produit ;

-     L'accroissement de la capacité d'exportation et de concurrence ;

-     Le renforcement de la crédibilité de l'entreprise envers ses partenaires ;

-     La création et renforcement de l’emploi.

Les opérations de fusion, de scission, de transformation ou de regroupement sont interdites lorsqu'elles visent une fraude fiscale ou la réalisation d'un des objectifs prohibés par les articles 5, 6, 7 et 8 de la loi sur la concurrence et les prix[1] ».

La transformation de la société anonyme peut être la condition suspensive d’une réduction de capital au dessous du minimum légal. En effet, la décision de réduction du capital social à néant, ou en dessous du chiffre minimum légal, ne pourra être prise qu'à la condition de transformer la société ou d'augmenter son capital simultanément jusqu'à une valeur égale ou supérieure au chiffre minimum légal (Article 310 CSC).

Enfin, la transformation peut être une mesure de régularisation de la situation de la société lorsque le nombre d’actionnaires devient inférieur à sept. Mais la SA peut être dissoute par décision judiciaire et sur la demande de tout intéressé, lorsqu'un an s'est écoulé depuis l'époque où le nombre des associés est réduit à moins de sept. Toutefois et à. la demande de tout intéressé, il peut être accordé à la société un délai supplémentaire de six mois pour procéder à la régularisation ou changer la forme de la société. Le tribunal saisi ne peut prononcer la dissolution de la société si la régularisation ou le changement de la forme a eu lieu avant que le tribunal ne statue sur le fond du litige (Article 387 CSC).

Il faut, néanmoins remarquer que lorsque le nombre d’actionnaires devient inférieur à 5, la transformation ne peut être faite qu’en SARL. En effet, la société en commandite par actions suppose l’existence de cinq associés au moins[2].

§ B. Formes issues de la transformation

1. La SA ne peut se transformer qu’en SARL ou en société en commandite par actions

Toutes les sociétés à l’exclusion de la société en participation[3] peuvent opter pour une transformation en choisissant l’une des formes prévues par le CSC (Article 433 CSC). Pour la SA, cette liberté de choix de la forme issue de la transformation est relative. En effet, la SA ne peut se transformer qu'en société en commandite par actions ou en société à responsabilité limitée (Article 433 CSC).

2. Transformation en SURAL ?

On peut s’interroger si, en cas de réunion des actions entre une seule main, la transformation en SUARL est possible ?

D’abord, il convient de noter que la forme de SUARL n’est pas expressément prévue par l’article 433 du CSC. Ce dernier s’est en effet limité à prévoir la forme de la SARL et de la société en commandite par actions. Mais en peut répliquer que la SUARL n’est qu’une variante de la SARL[4]. Cependant, le régime de transformation en SUARL en cas de réunion des titres entre les mains d’une seule personne n’est pas applicable aux sociétés anonymes. Ce régime prévu par l’article 23 du CSC régit exclusivement les sociétés de personnes et les SARL. Il en découle que la réunion des actions entre une seule main entraîne la dissolution de la société anonyme.

§ C. Conditions préalables

1. Le capital social doit être totalement libéré

Aux termes de l’article 410 du CSC « Le capital social de toute société qui fusionne, se transforme ou se scinde doit être entièrement libéré ».

2. La société anonyme doit avoir deux ans d’existence

En application des dispositions de l’article 433 du CSC, « la société anonyme ne peut se transformer qu'après deux ans de son existence ».

Le délai de deux ans doit normalement être décompté à partir de la date d’immatriculation de la société au registre de commerce. « En effet, aussi longtemps que la société n’est pas immatriculée au registre de commerce, elle n’a pas d’existence puisqu’elle n’a pas la jouissance de la personnalité morale. Certes, à partir de la signature des statuts la société est constituée mais elle n’est alors qu’un simple contrat[5] ».

3. Cas particulier de la transformation en SARL

La transformation en SARL est subordonnée au respect des obligations suivantes :

-     Le nombre d’actionnaires ne doit pas être supérieur à 50 (Article 93 CSC).

-     La société ne doit pas avoir pour objet celui exercé par l'assurance, les banques et autres institutions financières, les établissements de crédit et d'une façon générale toute société à laquelle la loi impose de prendre une forme déterminée (Article 94 CSC).

-     La répartition des titres qui représentent le capital social, la répartition des apports en numéraire et en nature ainsi que l'évaluation de ces derniers ainsi que l'indication de l'institution bancaire ou financière habilitée à recevoir les apports en numéraire doivent être portées au niveau des statuts (Article 96 CSC).

4. Existence de valeurs mobilières

a) Emission d’obligations

Les sociétés émettrices d'obligations doivent soumettre à l’approbation du conseil du marché Financier toutes les propositions traitant du changement de la forme de l'entreprise émettrice. Les sociétés émettrices d'obligations ne peuvent méconnaître le refus d'approbation du conseil du marché Financier que par le remboursement intégral des obligations dans un délai ferme ne dépassant pas un mois à compter de la notification du refus à la société concernée. La décision du refus sus indiqué est publiée au journal officiel de la République Tunisienne. Le remboursement intégral des obligations concernées s'effectue sans préjudice de toute action en réparation exercée le cas échéant par tout obligataire (Article 336 CSC).

b) Emission d’actions à dividende prioritaire sans droit de vote

Dans toute société ayant émis des actions à dividende prioritaire sans droit de vote, les modifications touchant à l'objet ou à la forme de la société ne seront valables qu'autant que l'assemblée générale spéciale des titulaires des actions à dividende prioritaire sans droit de vote tenue à cet effet aura approuvé ces modifications (Article 361CSC).

c) Titres participatifs

En cas de transformation en société en commandite par actions, le maintien de cette catégorie de valeurs mobilières est possible. En effet, les dispositions régissant les sociétés anonymes qui sont compatibles avec les dispositions particulières régissant les sociétés en commandite par actions sont applicables à ces sociétés (Article 391CSC). En revanche en cas de transformation en SARL, il est douteux que la société puisse maintenir en leur état de telles valeurs mobilières. En revanche et sous réserve d’une confirmation jurisprudentielle, il peut être envisagé de remplacer les titres participatifs par des certificats cessibles uniquement par les voies civiles avec le consentement unanime des porteurs de titres.

d) Certificats d’investissement

Comme pour les titres participatifs, le maintien de cette catégorie de valeurs mobilières est possible en cas de transformation en société en commandite par actions. La transformation en SARL ne peut être envisagée qu’après reconstitution des actions. En effet, le fractionnement (certificat d’investissement + certificat de droit de vote) ne peut être possible dans la SARL.

Section 2 : Procédures de transformation

§ A. Elaboration d’un projet de transformation et d’un rapport sur la transformation

1. Elaboration par la gérance d’un projet de transformation

Le président du conseil d'administration de la société objet de transformation doit élaborer un projet de transformation dans lequel il expose les causes, les objectifs et la forme de la société qui en sera issue. Le projet est présenté à l'assemblée générale extraordinaire pour approbation (Article 435 CSC).

2. Elaboration d’un rapport sur la transformation

En application des dispositions de l’article 435 du CSC, un rapport du commissaire aux comptes doit, le cas échéant, être joint au projet de transformation.

§ B. Décision de transformation

1. Organe décidant la transformation de la société

Aux termes de l’article 434 du CSC « La décision de transformation de la société est prise par l’assemblée générale extraordinaire des associés conformément aux dispositions du présent code et aux dispositions particulières régissant chaque type de société ».

2. Quorum et majorité

Dans la SA, la décision extraordinaire de transformation obéit aux conditions légales de quorum et de majorité relatives aux assemblées générales extraordinaires telles que prévues par l’article 291 du CSC à moins que les statuts sauf dispositions contraires dans les statuts[6].

a) Quorum

Rappelons que pour les assemblées générales extraordinaires, l’article 291 du CSC considère que :

-     Les délibérations de l'assemblée générale ne sont considérées valables que si les actionnaires présents ou les représentants au droit de vote détiennent au moins sur première convocation, la moitié du capital et sur deuxième convocation le tiers du capital.

-     A défaut de ce dernier quorum le délai de la tenue de l'assemblée générale peut être prorogé à une date postérieure ne dépassant pas deux mois à partir de la date de la convocation.

b) Majorité

Transformation en SARL : L'assemblée statue à la majorité des deux tiers des voix des actionnaires présents ou des représentants ayant droit au vote (Article 291 CSC).

Transformation en société en commandite par actions : Le CSC n’a pas traité d’une manière particulière la question de la majorité de prise de la décision de transformation en société en commandite par actions. La majorité des deux tiers des voix prévue par l’article 291 du CSC est applicable. Mais, au delà de cette majorité, il faut obligatoirement obtenir l’accord individuel des futurs associés commandités. En effet et dans la mesure où ces commandités auront la qualité de commerçant et répondront indéfiniment et solidairement des dettes sociales, il y aura augmentation de leur engagement social (par rapport à leur situation initiale d’actionnaire dans la SA) ; ce qui implique forcément leur accord individuel.

§ C. Publicité de la transformation

Traitant des actes et délibérations soumis aux formalités de dépôts et de publicité, l’article 16 du CSC n’a pas évoqué la transformation de sociétés. Mais l’opération de transformation entraîne obligatoirement modification des statuts entrant dans le champ d’application de l’article susvisé.

Notons aussi que l’article 436 du CSC dispose « Les nouveaux statuts doivent être publiés conformément aux dispositions de l'article 16 du CSC ».

§ D. Conséquences de la transformation

1. Subsistance de la personnalité morale

La transformation de la société n'entraîne pas la perte de la personnalité morale qui subsiste sous la nouvelle forme (Articles 4 & 436 CSC).

« Il n’y a pas transformation au sens propre du terme que si la personnalité morale subsiste. Sinon il y aurait une dissolution de la société de forme ancienne suivie d’une constitution d’une société de forme nouvelle entre les même associés[7] ».

La transformation de la société n’entraîne pas transmission de patrimoine, mais plutôt « une simple modification dans le mode juridique d’exploitation[8] ».

2. La transformation a pour effet de changer les règles de fonctionnement de la société

A compter de la date de réalisation de l’opération de transformation, la SA transformée n’est plus régie par les règles juridiques régissant la SA, mais plutôt par les règles spécifiques à la nouvelle forme.

3. Effets de la transformation sur la responsabilité des associés et sur les engagements sociaux

La transformation de la société n'a aucun effet, ni sur la responsabilité des associés qui restent tenus des dettes sociales dans les mêmes conditions et de la même manière qu'avant sa transformation, ni sur les droits des créanciers et les contrats et engagements nés avant la transformation. Les contrats conclus avec la société à transformer sont transférés dans les mêmes conditions à la société issue de la transformation (Article 437 CSC).

Les créanciers ne sont pas tenus à aucune formalité pour conserver leurs droits. Lorsque la transformation entraîne des garanties nouvelles résultant de la nouvelle forme, les créanciers de la société transformée en bénéficient (Article 437 CSC).

§ E. Sanctions

L’article 438 du CSC punit d'une peine d'emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de mille à dix mille dinars ou de l'une des deux peines seulement :

- Toute personne ayant fourni des informations fausses ou fictives ayant influencé la réalisation des opérations de transformation ;

- Toute personne ayant réalisé la transformation dans le but d'avoir une position dominante sur le marché interne aboutissant à empêcher ou restreindre le jeu normal des règles de la concurrence ;

Lorsque la transformation vise une fraude fiscale, l’opération risque de constituer un délit au sens de l’article 101 du code des droits et procédures fiscaux qui punit d’un emprisonnement de seize jours à trois ans et d’une amende de 1.000 dinars à 50.000 dinars toute personne qui a simulé des situations juridiques, produit des documents falsifiés ou dissimulé la véritable nature juridique d’un acte ou d’une convention dans le but de bénéficier d’avantages fiscaux, de la minoration de l’impôt exigible ou de sa restitution.


 

[1] Aux termes des dispositions de l’article 5 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et aux prix, (telle que modifiée et complétée par la loi n° 93-83 du 26 juillet 1993, la loi n° 95-42 du 24 avril 1995 et la loi n° 99-41 du 10 mai 1999) : Sont prohibées les actions concertées et les ententes expresses ou tacites visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché, lorsqu’elles tendent à :

1) Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de l’offre et de la demande ;

2) Limiter l’accès au marché à d’autres entre-prises ou le libre exercice de la concurrence ;

3) Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements, ou le progrès technique ;

4) Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement.

Sont prohibés, sauf cas exceptionnels autorisés par le ministre chargé du Commerce après avis du Conseil de la Concurrence, les contrats de concession et de représentation commerciale exclusive.

Est prohibée, également, l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci, ou d’un état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour la commercialisation, l’approvisionnement  ou la prestation de service.

L’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique peut consister notamment en refus de vente ou d’achat, en ventes ou achats liés, en prix minimums imposés en vue de la revente, en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales sans motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est nul, de plein droit, tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à l’une des pratiques prohibées en vertu du présent article.

[2] L’article 390 du CSC dispose « La société en commandite par actions est constituée par contrat entre deux ou plusieurs commandités et des commanditaires. Le nombre des commanditaires ne peut être inférieur à trois ».

[3] La transformation ne peut normalement intéresser une société en participation puisque cette société n’a pas de personnalité morale. Toutefois et en application des dispositions de l’article 86 du CSC, la société en participation se transforme de plein droit en société en nom collectif en cas de cession des parts à un tiers.

[4] En application des dispositions de l’article 148 du CSC « Le régime juridique des SARL est applicable aux SUARL sous réserve des dispositions contraires prévues au présent titre ».

[5] Mémento pratique, sociétés commerciales, Editions Francis Lefebvre, 1998, § 2331

[6] Comme nous l’avons précédemment exposé, les statuts peuvent renforcer le quorum (sans faire obstacle à la libre révocabilité des administrateurs). En revanche, les statuts ne paraissent pas pouvoir alléger les règles légales fixant le quorum. Par ailleurs, aucune disposition ne frappe de nullité les clauses statutaires qui dérogeraient aux règles de majorité légale, ce qui signifierait que ces clauses semblent valables (à condition qu’elles ne fassent pas obstacle à libre révocabilité des administrateurs).

[7] Y. GUYON, Droit des affaires, Tome 1, Droit commercial général et sociétés, Editions Economica, 9ème édition, 1996, p. 593

[8] G. RIPERT, Traité élémentaire de droit commercial, Tome 1, 12e édition par R. ROBLOT, Editions LGDJ, 1986, § 1587