Deuxième Chapitre :

La gérance de la Société A Responsabilité Limitée

 

Sommaire

Section 1 : Nomination des gérants

§ A. Conditions de nomination

1. Conditions relatives à la personne du gérant

2. Conditions de forme

3. Conditions statutaires

§ B. Modes de nomination

1. Le gérant statutaire

2. Le gérant nommé par acte séparé

§ C. Durée des fonctions du gérant

§ D. Modes d’acceptation des fonctions de gérant

Section 2 : Cessation des fonctions des gérants

§ A. Formes de cessation des fonctions des gérants

1. Cessation par l’arrivée du terme

2. Révocation des gérants

3. Démission des gérants

4. Survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant

§ B. Publicité de la cessation des fonctions de gérant

Section 3 : Rémunération des gérants

1. Les modalités de fixation de la rémunération du gérant

2. Participation ou non du gérant associé au vote pour la fixation de sa rémunération

Section 4 : Pouvoirs du gérant

§ A. Rapports avec les associés

1. Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés

2. Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant

§ B. Rapports avec les tiers

1. Sort des actes qui entrent dans l’objet social

2. Sort des actes qui dépassent l’objet social

3. Sort des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant

4. Sort des actes qui entrent légalement dans la compétence de l’assemblée générale des associés

§ C. Rapports avec la société

1. Les conventions réglementées

2. Les conventions interdites

§ D. Cas de pluralité de gérants

1. Rapport avec les associés

2. Rapports avec les tiers

3. Responsabilité envers la société

Section 5 : La responsabilité civile des gérants

§ A. Causes de la responsabilité

1. Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée

2. Les violations des statuts

3. Les fautes commises dans la gestion

§ B. L’action en responsabilité

1. L’action sociale

2. L’action individuelle

§ C. Prescription des actions en responsabilité

Section 6 : La responsabilité pénale des gérants

 

 

Deuxième Chapitre

La gérance de la Société A Responsabilité Limitée

 

Le fonctionnement de la SARL est articulé autour de trois organes ; les gérants, les associés et le commissaire aux comptes (Ce troisième organe n’est pas toujours obligatoire).

La gérance est probablement l'organe essentiel de la SARL. Bien que la comparaison ne soit qu'approximative, la gérance représente dans la SARL « le pouvoir exécutif[1] ».

Section 1 : Nomination des gérants

§ A. Conditions de nomination

1. Conditions relatives à la personne du gérant

a) Le gérant doit être une personne physique

Seules les personnes physiques peuvent avoir la qualité de gérant d’une SARL (Article 112 CSC). Les personnes morales ne peuvent donc assumer les fonctions de gérant.

b) Le gérant doit être capable

Bien que le gérant n’ait pas la qualité de commerçant[2], il doit être capable pour pouvoir assumer la gérance de la SARL.

c) Incompatibilités et interdictions

Certains délits ou crimes sont assortis de la sanction d’interdiction de gérer des sociétés. Aussi, la gérance est interdite aux faillis non réhabilités (Article 456 Code de Commerce).

La fonction de gérant est aussi incompatible avec l’exercice de certaines professions libérales[3] (ex. comptables, experts comptables, avocats etc.).

Les personnes ayant occupé la fonction de commissaires aux comptes dans une SARL ne peuvent pas occuper des fonctions de gérant de cette SARL pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions[4].

d) Le gérant peut ne pas être associé

Le ou les gérants peuvent être désignés parmi les associés ou parmi des tiers (Article 112 CSC).

Cependant comme, nous allons le voir, les statuts pourront valablement exiger la qualité d’associé pour le gérant .

2. Conditions de forme

La nomination des gérants doit être soumise aux formalités de dépôt et de publicité (Article 16 CSC). La publicité est faite par une insertion au Journal Officiel de la République Tunisienne et dans deux journaux quotidiens dont l'un est publié en langue arabe et ce, dans un délai d'un mois à partir soit de la constitution définitive de la société, soit de la date du procès verbal de l'assemblée générale ayant procédé à la nomination (Article 15 CSC).

3. Conditions statutaires

Ces derniers peuvent aussi prévoir toute catégorie de restrictions quant à la qualité du gérant. A titre d’exemples, les statuts peuvent valablement :

-      exiger la qualité d’associé pour le gérant ;

-      exiger un diplôme ou une limite d’âge ;

-      spécifier que le gérant ne pourra pas accepter une autre gérance sans s’y être autorisé par une décision collective des associés ;

-      disposer que le gérant doit consacrer tout son temps et tous ses soins à la société ;

-      interdire qu’il gère une autre société ;

-      etc.

Par ailleurs, le nombre de gérants est librement fixé par les statuts.

§ B. Modes de nomination

Le ou les gérants peuvent être désignés dans les statuts ou par un acte postérieur (Article 112 CSC).

1. Le gérant statutaire

Le gérant est désigné en qualité de gérant statutaire (c’est à dire, le nom du gérant doit figurer dans les statuts) :

1.   Soit au moment de la constitution de la société : Dans ce cas, la nomination est logiquement faite à l’unanimité des associés (étant donné que les statuts établis par acte sous seing privé ou acte authentique doivent obligatoirement être signés par tous les associés lors de la constitution)

2.   Soit au cours de la vie sociale : Dans ce cas, cette nomination doit faire l’objet d’une délibération approuvée par les associés représentant les trois quarts au moins des parts sociales et réunis en assemblée générale extraordinaire.

Si un premier gérant avait été désigné dans les statuts, la nomination d'un gérant statutaire supplémentaire exigerait une modification des statuts.

2. Le gérant nommé par acte séparé

Le gérant nommé par acte séparé grâce à une délibération  votée par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié du capital social.

§ C. Durée des fonctions du gérant

La durée du mandat du gérant est fixée par les statuts ou bien au niveau de l’acte de nomination.

En cas de silence des statuts ou de la décision de nomination, la durée du mandat du gérant sera de trois ans renouvelables (Article 112 CSC).

§ D. Modes d’acceptation des fonctions de gérant

Aucun texte ne fixe le mode d’acceptation des fonctions de gérant. En l’absence d’une disposition précise au niveau du pacte social, cette acceptation peut être :

-     Expresse : Dans ce cas, elle résulte de sa signature au pied de la décision précédée de la mention « bon pour acceptation des fonctions de gérant ». Le gérant déclare qu’aucune interdiction, mesure ou décision quelconque ne fait obstacle à l’exercice de ses fonctions.

-     L’acceptation des fonctions peut également être tacite.

Section 2 : Cessation des fonctions des gérants

§ A. Formes de cessation des fonctions des gérants

1. Cessation par l’arrivée du terme

Les fonctions du gérant cessent à l’expiration de la période pour laquelle ils ont été nommés dans les statuts ou dans un acte séparé.

Sauf disposition contraire des statuts, les gérants sont rééligibles.

2. Révocation des gérants

a) Conditions de révocation

Gérant statutaire

Le gérant statutaire est révocable par une décision prise par un ou plusieurs  associés (réunis en assemblée générale extraordinaire) représentant au moins les trois quarts du capital social.

Gérant non statutaire

Le gérant nommé par acte séparé est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié du capital social.

Révocation judiciaire

Le ou les associés représentant le quart du capital social au moins peuvent intenter une action devant le tribunal compétent tendant à obtenir la révocation du gérant pour cause légitime[5].

On peut se demander si la révocation des gérants peut être décidée sans que la question ne figure à l’ordre du jour[6].

Selon la jurisprudence française, la révocation peut être prononcée à la suite d’incidents graves et imprévus (« incidents de séance ») sans même que la question ne figure à l’ordre du jour de l’assemblée[7]. Cette jurisprudence a nuancé sa position en considérant que la décision de révocation doit être annulée lorsqu’elle a été prise sans que cette question ait été inscrite à l’ordre du jour alors qu’aucun motif grave et légitime et aucune urgence ne justifiait ce comportement[8].

b) Participation du gérant associé au vote

Faute d’une disposition légale l’écartant du scrutin, le gérant associé dont la révocation est proposée à l’assemblée, participe au vote.

Cette règle conduit au constat suivant : Un gérant statutaire détenant un quart du capital social ou un gérant non statutaire détenant la moitié du capital social sont irrévocables de fait par les associés. Cependant, et afin d’éviter « l’inamovibilité[9] » du gérant, tout associé invoquant « une cause légitime » peut s’adresser au juge pour demander la révocation du gérant.

3. Démission des gérants

Aucun texte n’organise les conditions de démission des gérants. Rien n’empêche les gérants de démissionner[10]. Les statuts peuvent organiser cette démission en prévoyant des procédures visant à éviter les conséquences dommageables d’un départ inopiné des gérants (ex. en prévoyant l’obligation au gérant démissionnaire de notifier sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception au commissaire aux comptes et au gérant demeuré en fonction, ou à tous les associés, individuellement, un certain nombre de mois à l’avance ou en prévoyant l’obligation de convoquer les associés en assemblée en vue de la nomination de son successeur etc.)

4. Survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant

En cas de survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant (incapacité, interdiction, incompatibilité, faillite etc.), le gérant doit obligatoirement démissionner ; sinon, il risque la révocation judiciaire pour juste motif.

Cette forme de cessation de fonctions des gérants inclut également le décès du gérant.

§ B. Publicité de la cessation des fonctions de gérant

La cessation des fonctions de gérant doit être soumise aux formalités de dépôts et de publicité (Article 16 CSC). La publicité est faite par une insertion au Journal Officiel de la République Tunisienne et dans deux journaux quotidiens dont l'un est publié en langue arabe et ce, dans un délai d'un mois à partir de cette cessation (Article 15 CSC).

Section 3 : Rémunération des gérants

1. Les modalités de fixation de la rémunération du gérant

S’agissant de mandataires sociaux, les gérants ont droit à rémunération. On retrouvera dans le droit commun une disposition interdisant à « l’associé administrateur » d’obtenir une rémunération non convenue. En effet, l’article 1280 du COC dispose « L’associé administrateur n’a pas droit à une rétribution spéciale à raison de sa gestion, si elle n’est pas expressément convenue. Cette disposition s’applique aux autres associés, pour le travail qu’ils accomplissent dans l’intérêt commun ou pour les services particuliers qu’ils rendront à la société et qui ne rentrent pas dans leurs obligations comme associés ».

Le CSC ne contient aucune disposition fixant le mode de détermination et de calcul de la rémunération.

Cette tâche appartiendra donc aux statuts ou bien aux associés réunis en assemblée générale ordinaire[11]. En effet, le prélèvement d’une rémunération sur les fonds sociaux sans qu’une clause statutaire ou une décision collective n’en fixe le montant ou les modalités de calcul risque de constituer un délit d’abus de biens de la société[12].

2. Participation ou non du gérant associé au vote pour la fixation de sa rémunération

Il n’existe aucune disposition législative interdisant expressément au gérant associé de prendre part au vote pour la fixation de sa rémunération.

Seulement, l’article 115 du CSC dispose « Toute convention intervenue directement ou par personne interposée entre la société et son gérant associé ou non, (…) devra faire l'objet d'un rapport présenté à l'assemblée générale (…). L'assemblée générale statue sur ce rapport, sans que le gérant ou l'associé intéressé puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité ».

Ainsi, le gérant associé ne participera pas au vote si l’on admet le caractère conventionnel de sa rémunération. Dans le cas contraire, le gérant aura le droit de participer au vote.

Sur la question de savoir si la rémunération du gérant constituait une convention réglementée, une large partie de la doctrine répond par la négative invoquant le caractère institutionnel de la fonction, le fait que dans les SA la rémunération du PDG ne constitue pas une convention réglementée et finalement parce que le gérant en cette qualité, n’est pas lié par la société par un contrat[13].

Dans un arrêt du 30 mai 1989, la Cour de cassation française a confirmé le point de vue selon lequel la rémunération du gérant ne constituait pas une convention réglementée en estimant que « la décision de l'assemblée des associés d'une société à responsabilité limitée accordant dans des conditions normales au gérant des gratifications, qui font partie de sa rémunération, ne constitue pas une convention entrant dans les prévisions de l'article 50[14]... »[15].

Par ailleurs, si l’on suppose que la rémunération du gérant constitue une convention entrant dans le champ d’application de l’article 115 du CSC, on se heurtera à la logique même de cet article qui ne prévoit qu’un contrôle à posteriori desdites conventions. 

L’inclusion de la rémunération du gérant dans le champ d’application de la procédure de l’article 115 du CSC (où le gérant associé est privé du droit de vote) est, en outre, un facteur d’insécurité juridique. Il est aberrant de remettre le pouvoir décisionnel à la minorité des associés pour une question aussi importante que celle de la fixation de la rémunération de la gérance sachant que cette minorité est protégée contre les décisions abusives de la majorité aussi bien au civil (action sociale) qu’au pénal (délit d’abus de pouvoir).

On peut aussi souligner l’inefficacité de la mise en œuvre des dispositions de l’article 115 du CSC pour ce qui est de la rémunération du gérant. En effet et même dans l’hypothèse où les dispositions de  cet article 115 du CSC seraient invoquées contre un gérant associé, la désapprobation de sa rémunération par le reste des associés est sans effet ; Cet article considère que « les conventions non approuvées produisent leurs effets[16] ».

Section 4 : Pouvoirs du gérant

§ A. Rapports avec les associés

On peut distinguer entre deux hypothèses :

-     Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés.

-     Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant.

1. Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés

L’article 113 du CSC donne toute la latitude aux associés pour fixer au niveau du pacte social toute limitation statutaire au pouvoir du gérant.

A titre d’exemple, les statuts pourront prescrire une autorisation préalable de l’assemblée générale au titre de certaines opérations tels que les cautions solidaires ou avals au profit d'un tiers, la constitution d’hypothèques sur un immeuble social, le nantissement du fonds de commerce de la société etc.

Si le gérant méconnaît une clause statutaire limitant son pouvoir, il engage sa responsabilité vis-à-vis des autres associés. Ceux-ci peuvent, en effet, réclamer réparation du préjudice causé par la violation des limitations statutaires. En outre, le comportement du gérant serait un juste motif de révocation[17].

2. Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant

Dans cette hypothèse, l’article 113 du CSC autorise le gérant à « effectuer tous les actes relevant de l'objet de la société et dans l'intérêt de celle-ci ».

Le législateur impose une limitation légale aux pouvoirs du gérant qui ne peut effectuer ni des actes qui ne relèvent pas de l’objet social, ni des actes contraires à l’intérêt social.

Le gérant doit aussi respecter les prérogatives attribuées par la loi aux assemblées générales des associés.

§ B. Rapports avec les tiers

Le CSC a mis en place des dispositions qui mettent les tiers pratiquement à l’abri de toute surprise en traitant avec le gérant régulièrement désigné.

1. Sort des actes qui entrent dans l’objet social

Aux termes de l’article 114 du CSC, la société est engagée par tous les actes accomplis par le gérant et relevant de l'objet social.

2. Sort des actes qui dépassent l’objet social

Les actes du gérant qui dépassent l'objet social engagent la société à l'égard des tiers sauf s'il a été prouvé que le tiers ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances. La simple publication des statuts ne peut être considérée comme une preuve de cette connaissance (Article 114 CSC).

3. Sort des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant

Les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers même en cas de publication des statuts (Article 114 CSC).

Selon la doctrine française, « ces limitations n’ont donc aucun effet vis-à-vis des tiers, quand bien même ceux-ci seraient de mauvaise foi et connaîtraient l’existence de telles clauses[18] ».

4. Sort des actes qui entrent légalement dans la compétence de l’assemblée générale des associés

Les tiers sont censés ne pas ignorer la loi. Ils sont donc censés connaître que le gérant ne peut pas s’immiscer dans les prérogatives exclusives revenant aux assemblées générales des associés (ex. le gérant ne peut pas modifier les statuts).

La société n’est pas alors engagée lorsque son contractant savait que le gérant commettait un acte entraînant la modification des statuts[19].

§ C. Rapports avec la société

Le pouvoir d’engager la société dont dispose le gérant est assorti d’un mécanisme de contrôle de gestion. Ce dernier est mis en œuvre parallèlement au mécanisme de la responsabilité civile et pénale (v. infra).

Dans ses rapports avec la société, le gérant est tenu de respecter une procédure de contrôle de certaines conventions dites réglementées (§1). Il lui est interdit de conclure certaines conventions dites interdites avec la société (§2).

1. Les conventions réglementées

L’article 115 du CSC a prévu une procédure de contrôle consistant à soumettre au vote un rapport contenant les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son gérant associé ou non, et entre la société et ses associés.

L'assemblée générale statue sur ce rapport, sans que la personne intéressée par la convention puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité.

a) Champ d’application

Le contrôle des conventions réglementées inclut :

- Les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son gérant ou associé. La procédure de contrôle est applicable que le gérant soit associé ou non.

- Les conventions passées avec une société dont un associé solidairement responsable, gérant, administrateur, directeur général ou membre du directoire ou membre du conseil de surveillance est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée. L’article 115 du CSC in fine ne vise que les conventions conclues entre la SARL et une autre « société » ce qui devrait normalement exclure les conventions conclues avec toute personne n’ayant pas la qualité de société (ex. GIE ou une association).

Force est de reconnaître que le champ d’application de l’article 115 du CSC paraît très large. Comparé à la société anonyme, il inclut « les conventions portant sur les opérations courantes nécessaires à la réalisation de l'objet social[20] », ce qui n’est pas sans poser de réelles difficultés pratiques de recensement des conventions. La soumission des opérations courantes et conclues à des conditions normales aux procédures d’approbation ne présente aucune utilité pratique et ne fait qu’alourdir le fonctionnement de la SARL tout en renforçant unitilement la responsabilité du gérant[21].

Il faut néanmoins noter que la loi n°2001-117 du 6 décembre 2001, complétant le code des sociétés commerciales a prévu une procédure spécifique de contrôle des conventions intra-groupe de sociétés. Cette nouvelle procédure présente le mérite d’exclure toute « opération courante conclue à des conditions normales » de l’obligation de contrôle[22].

L’article 475 du CSC dispose « Lorsque deux sociétés ou plus appartenant à un groupe de sociétés ont les mêmes dirigeants, les conventions conclues entre la société mère et l'une des sociétés filiales ou entre sociétés appartenant au groupe sont soumises à des procédures spécifiques de contrôle consistant en leur approbation par l'assemblée générale des associés de chaque société concernée, sur la base d'un rapport spécial établi par le commissaire aux comptes pour les sociétés concernées soumises à l'obligation de désignation d'un commissaire aux comptes.

Le contrôle n'est pas obligatoire si la convention porte sur une opération courante conclue à des conditions normales ».

b) Mécanisme de contrôle

L’article 115 du CSC prévoit une procédure d’approbation des conventions réglementées qui doit être mise en place à posteriori. Contrairement à la société en nom collectif[23] et à la société anonyme[24], aucune obligation n’est faite au gérant d’obtenir une autorisation préalable avant de conclure la convention envisagée.

La loi prévoit la soumission au vote de l’assemblée d’un rapport qui doit être présenté à l'assemblée générale soit par le gérant, soit par le commissaire aux comptes s'il en existe un.

Le législateur n’a pas précisé l’assemblée à laquelle ledit rapport doit être présenté[25]. Quoiqu’il en soit, l’approbation intervient à la majorité de plus de la moitié du capital.

On peut se demander si ce rapport doit être obligatoirement présenté à l’assemblée annuelle chargée d’approuver les comptes[26].

Aucune disposition juridique ne prescrit expressément le vote des conventions réglementées lors de l’assemblée annuelle. L’approbation des conventions réglementées peut donc intervenir après l’expiration du délai susvisé de 3 mois, elle peut être faite par consultation écrite. Le rapport sur les conventions réglementées n’est pas soumis à l’obligation d’envoi par la lettre recommandée avec accusé de réception vingt jours avant la date de l’assemblée appelée à statuer sur ces conventions.

Par ailleurs, l’article 115 du CSC prévoit que l'assemblée générale statue sur le rapport, sans que le gérant ou l'associé intéressé ne puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité.

Le fait que les parties intéressées par les conventions soient écartées du scrutin, permet de conclure qu’un vote spécifique pour chaque convention doit intervenir d’une manière séparée. En effet, il n’est pas possible qu’un rapport impliquant plusieurs associés soit voté dans son ensemble en respectant l’obligation d’exclure les parties intéressées du vote de leurs conventions.

La non-participation au vote pose aussi, une difficulté pratique concernant les conventions intéressant l’unanimité des associés. De telles conventions ne seront votées par aucun associé lors de l’assemblée générale.

c) Conséquences du vote sur les conventions réglementées

Quelles soient approuvées ou désapprouvées, les conventions produisent pleinement, leurs effets. Cependant, lorsque les conventions sont désapprouvées, le gérant ou l'associé contractant seront tenus pour responsables, individuellement et solidairement s'il y a lieu des dommages subis par la société de ce fait (Article 115 du CSC).

La jurisprudence française considère, dans un arrêt de principe[27], que les conventions désapprouvées par les associés, soit qu’elles ne leur aient pas été soumises, soit qu’elles aient été rejetées par eux, soit encore qu’elles aient été approuvées dans des conditions irrégulières[28] produisent leurs effets, à charge par le gérant ou l’associé contractant de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.

2. Les conventions interdites

Aux termes de l’article 116 du CSC, il est interdit à la société d'accorder des emprunts[29] à un gérant sous quelque forme que ce soit ainsi que de cautionner ou d'avaliser ses engagements envers les tiers. L'interdiction s'étend aux représentants légaux des personnes morales associées ainsi qu'aux conjoints, ascendants et descendants des personnes visées ci‑dessus.

Contrairement au droit français, l’interdiction concerne uniquement les gérants ce qui exclut les conventions bénéficiant aux associés non-gérants.

Mais l’interdiction concerne les représentants légaux des personnes morales associées ainsi qu'à leurs conjoints, ascendants et descendants.

Tout intéressé peut se prévaloir de la nullité de l'acte conclu en violation des dispositions ci-dessus (Article 116 du CSC). La nullité prévue ici est absolue et d’ordre public. Elle peut être invoquée par les associés ou les tiers qui justifient d’un intérêt personnel, légitime et juridiquement établi. La société pourrait normalement opposer cette nullité aux tiers censés, en effet, ne pas méconnaître la loi.

§ D. Cas de pluralité de gérants

1. Rapport avec les associés

En cas de pluralité de gérants, les statuts organisent généralement une répartition des tâches entre les cogérants.

Dans ce cas, les gérants doivent respecter cette organisation.

En l’absence de telles dispositions statutaires, chaque gérant peut agir séparément.

2. Rapports avec les tiers

a) Règle générale

La situation où il y aurait pluralité de gérants reçoit les mêmes règles qu’en cas de gérant unique :

- La société est toujours engagée par tous les actes accomplis par les gérants et relevant de l'objet social. Les actes de l’un des gérants qui dépassent l'objet social engagent la société à l'égard des tiers sauf s'il a été prouvé que le tiers ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances.

- L’organisation statutaire des pouvoirs entre gérants est sans effet vis-à-vis des tiers (ex. si les statuts prévoient une signature conjointe sur tous les documents sociaux, la société demeure toujours engagée par les actes accomplis par un gérant au mépris de cette règle. Dans ce cas, le gérant engage sa responsabilité vis-à-vis des autres associés pour le préjudice causé par la violation des règles statutaires).

b) Exception : l’opposition formée par un gérant sur les actes de son cogérant

L’article 114 du CSC considère que l'opposition formée par un gérant aux actes d'un autre gérant est sans effet à l'égard des tiers, à moins qu'il ne soit établi qu'ils en aient eu connaissance.

Par prudence, le gérant opposant aura intérêt à notifier au tiers son opposition par lettre recommandée avec accusé de réception ou par exploit d’huissier.

« Ainsi, le cogérant qui apprend fortuitement qu'un de ses collègues projette de passer un contrat qu'il estime contraire à l’intérêt social peut informer le tiers cocontractant de son opposition; si le tiers passe outre et conclut néanmoins ledit contrat, il ne pourra pas exiger de la société son exécution. Il existe d'ailleurs un devoir de surveillance à l'égard des cogérants; le défaut de surveillance peut être une cause de responsabilité invoquée à l'encontre du cogérant insouciant[30] ».

3. Responsabilité envers la société

Si les faits générateurs de responsabilité sont l'œuvre de plusieurs gérants, l’article 117 du CSC prévoit une responsabilité individuelle ou solidaire selon le cas (يكون الوكيل أو الوكلاء مسؤولين فرادى أو بالتضامن فيما بينهم بحسب الحالات). Par conséquent, le tribunal décide dans un premier lieu si les gérants sont solidaires auquel cas il détermine la part contributive de chacun d'eux dans la réparation du dommage.

Section 5 : La responsabilité civile des gérants

§ A. Causes de la responsabilité

Aux termes de l’article 117 du CSC, le ou les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit de fautes commises dans leur gestion.

La responsabilité des dirigeants sociaux, peut être engagée en vertu d’autres régimes juridiques spéciaux (ex. comblement du passif en cas de faillite, responsabilité sociale et fiscale etc.)

En application des dispositions du CSC, les gérants engagent leur responsabilité pour trois causes :

- Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée ;

- Les violations des statuts ;

- Les fautes commises dans la gestion.

En tout état de cause, la mise en jeu de la responsabilité implique l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

1. Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée 

En cas d’inobservation des dispositions légales, la responsabilité du gérant peut être mise en œuvre (ex. inobservation des formalités de convocation et de tenue des assemblées, non-respect des dispositions régissant les conventions réglementées, défaut d’accomplissement de la publicité légale etc.).

2. Les violations des statuts 

Lorsque les statuts comportent des dispositions particulières organisant la vie de la société, le gérant est tenu de les respecter au risque de voir sa responsabilité engagée (ex. non respect des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant).

3. Les fautes commises dans la gestion

Il n’existe pas de définition légale des « fautes de gestion ». Celles-ci peuvent inclure certaines négligences ou imprudences. Elles peuvent aussi avoir pour origine des manœuvres frauduleuses. 

La doctrine reconnaît la difficulté d’appréciation des fautes de gestion. « En effet une responsabilité excessive risque de paralyser l'esprit d'initiative des gérants et par voie de conséquence le progrès économique. Il n'est pas d'homme d'affaires, si compétent, si diligent et, si prudent soit-il, qui ne commette des erreurs. Il faut donc comparer le comportement du gérant avec celui du dirigeant d’une entreprise de même importance, qui prend fréquemment des décisions sur des questions complexes sans choisir toujours la meilleure solution. La seule règle d'or est de se placer à la date de la faute prétendue pour apprécier ce comportement et ne pas accabler le gérant sous le poids d'une perspicacité rétroactive suscitée par la connaissance de la catastrophe finale[31] ».

La jurisprudence française a dressé un large éventail d’exemples de fautes de gestion (ex. assurances insuffisantes, conclusion d’un bail dans des conditions préjudiciables à la société, défaut de paiement des cotisations de la sécurité sociale alors que la trésorerie de la société permettait un tel paiement, négligences ayant conduit à condamner la société à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale etc.).

§ B. L’action en responsabilité

Le gérant peut engager sa responsabilité envers :

- La société pour réparer un préjudice subi par la société ; dans ce cas, l’action est dite action sociale ou ut-singuli ;

- Une autre personne (tiers[32] ou associé) pour réparer un préjudice personnel ; dans ce cas, l’action est dite action individuelle.

1. L’action sociale

a) Conditions d’exercice de l’action sociale

Les associés représentant le quart du capital social peuvent, en se groupant, intenter l'action sociale en responsabilité contre le ou les gérants responsables du préjudice. Toute modification de la quote-part sus-désignée des associés survenue après l'exercice de l'action en responsabilité ne peut avoir pour effet d'éteindre ladite action (Article 118 du CSC).

b) Caractère d’ordre public de l’action sociale

Aucun quitus ou clause n’est susceptible de paralyser l’exercice de l’action sociale. L’article 119 du CSC énonce ce caractère en réputant nulle et non avenue :

- toute clause statutaire ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée générale ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice de cette action.

- toute décision de l'assemblée générale ayant pour effet d'interdire l'exercice de l'action en responsabilité contre le gérant pour faute commise dans l'exercice de son mandat.

c) Bénéficiaire des dommages-intérêts

Contrairement à la loi française de 1966[33], le CSC n’a pas désigné le bénéficiaire des dommages intérêts en cas de succès de l’action sociale. Cela étant, c’est la société (et non pas les associés les demandeurs) qui devrait bénéficier de ces dommages et intérêts pour la simple raison que l’action a été intentée au nom de la société.

2. L’action individuelle

Chaque associé peut exercer individuellement l'action en responsabilité pour la réparation du préjudice subi personnellement (Article 118 du CSC).

Contrairement à l’action sociale, cette action tend à réparer un préjudice subi personnellement par un associé ou un tiers.

§ C. Prescription des actions en responsabilité

Les actions en responsabilité prévues aux articles 117 à 119 du CSC se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable, ou s'il a été dissimulé, à compter de sa révélation. Lorsque le fait est qualifié de crime, l'action se prescrit par dix ans (Article 120 du CSC).

Section 6 : La responsabilité pénale des gérants

Les gérants sont exposés à plusieurs chefs de responsabilité pénale. A titre d’exemple, les gérants sont exposés aux sanctions fiscales pénales prévues par le Code des Droits et Procédures Fiscaux[34].

Nous-nous limiterons dans ce cours à étudier les infractions pénales propres aux gérants et qui sont sanctionnées par le CSC[35] :

Article

Infraction et peine

Article 20 du CSC

Nonobstant les dispositions des articles 14, 18 et 19 du présent code, l'inobservation des formalités de publicité sus – mentionnées expose les dirigeants sociaux qui en ont la charge à une sanction d'amende de trois cent à trois mille dinars.

Article 145 du CSC

Sont punis d'un emprisonnement de seize jours à six mois ou d'une amende de 1.000 à 3.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement, les gérants qui directement ou par personnes interposées, ont ouvert une souscription publique à des valeurs mobilières quelle qu'en soit la catégorie pour le compte de la société.

Article 146 du CSC

Sont punis d'un emprisonnement d'un an à 5 ans et d'une amende de 500 à 5.000 dinars :

  1. les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l'acte constitutif de la société ou lors d'une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations.
  2. les personnes qui ont sciemment et de mauvaise foi, font attribuer à des apports en nature une évaluation supérieure à leur valeur réelle.
  3. les gérants qui, en l'absence de toute distribution du reliquat des dividendes, ont sciemment présenté aux associés des comptes annuels ne reflétant pas la véritable situation de la société ou qui, de mauvaise foi ont fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle‑ci, dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement, ou ils font usage de pouvoirs qu'ils détenaient ou des voix qui étaient en leur possession et qu'ils savaient contraire à l'intérêt de la société dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.

Article 147 du CSC 

Sont punis d'une amende de 500 à 5.000 dinars les gérants qui :

1)   n'ont pas établi pour chaque exercice un inventaire, un bilan ou un rapport de gestion.

2)   n'ont pas convoqué l'assemblée des associés au moins une fois par un an.

3)   n'ont pas communiqué aux associés un mois avant la tenue de l'assemblée générale, le bilan de l'exercice, le rapport de gestion, les décisions proposées, et le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes.

4)   n'ont pas consulté les associés en vue de prendre les mesures nécessaires dans le mois qui suit l'approbation des comptes, lesquels ont fait apparaître que les fonds propres de la société sont au-dessous de la moitié du capital social suite aux pertes subies.

5)   n’ont pas respecté les dispositions de l'article 123 du présent code.

 



[1] Y. GUYON, Droit des affaires, Tome 1, Droit commercial général et sociétés, Editions Economica, 9ème édition, 1996, p. 511

[2] Contrairement aux associés dans la SNC (Article 55 du CSC), au PDG (Article 213 du CSC), au directeur  général (Article 217 du CSC) dans la SA, aux commandités dans la société en commandite simple (Article 67 du CSC) ou par actions  (Article 390 du CSC), aucun texte ne donne la qualité de commerçant au gérant de la SARL (pour l’application des dispositions relatives à la faillite).

[3] A moins qu’il s’agisse de gérants de sociétés ayant pour objet l’exercice de ces professions libérales.

[4] Cette incompatibilité résulte de la combinaison des dispositions des articles 125 et 263 du CSC.

-     Dans tous les cas, les commissaires aux comptes sont désignés pour une période de trois ans. Leurs pouvoirs, fonctions, obligations et responsabilités, de même que les conditions de leur révocation et de leur rémunération sont fixés selon les dispositions des articles 259 à 273 du présent code. Il en est de même pour le régime des incompatibilités et des interdictions (Article 125 CSC).

-     Les commissaires aux comptes ne peuvent être nommés administrateurs ou membres du directoire des sociétés qu'ils contrôlent pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions (Article 263 CSC).

[5] Aucune définition n’est donnée de la notion de cause légitime (سبب مشروع ). Dans le cadre des travaux préparatoires ayant précédé la promulgation du CSC (JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 2001-2000, N° 4, mardi 31 octobre, p. 87), le ministère a précisé ce qui suit concernant la cause légitime :

السؤال 153 : تسأل اللجنة عن المقاييس التي سيتم إعتمادها لتحديد مفهوم مشروعية السبب الذي ينجر عنه عزل الوكيل وتقدير وجاهة ذلك السبب ؟

الجواب : إن مشروعية السبب الداعي للعزل تقدر بالنظر إلى الغاية التي تم من أجلها تعيين الوكيل، فالفشل في التوصل إلى تلك الغاية التي تم تعيين الوكيل من أجلها لإسباب غير خارجة عن إرادته أو لأسباب خاصة به (كأن يتعرض الوكيل إلى ما يصيره عاجزا بدنيا أو ذهنيا عن القيام بشؤون الشركة) بحيث يمكن لمن عداه تحقيق تلك الغايات كل ذلك يمثل سببا مشروعا للعزل، فالمشروعية تقدر على ضوء الموازنة بين غايات الشركة والظروف المتاحة للوكيل لتحقيقها.

أما  تقدير وجاهة السبب فتبقى دائما للقاضي، إذا تم العزل وقام الوكيل بدعوى التعويض معتبرا أن العزل كان لسبب غير مشروع، أو قام بعض الشركاء بدعوى في طلب عزل الوكيل، فإن القاضي هو الذي يقدر في النهاية وجاهة السبب.

La jurisprudence française donne les exemples suivants (exemples rapportés in Mémento pratique, sociétés commerciales, Editions Francis Lefebvre, 1998, § 866) :

-  le gérant a abandonné ses fonctions et a emporté un carnet de chèques de la société dont il se sert pour des motifs personnels (T. com. Paris réf. 18 juin 1974, Bull. Joly 1974.596) ;

-  le gérant détenant plus de la moitié du capital n’assiste pas aux assemblées depuis plusieurs années ; ce qui oblige son cogérant à convoquer chaque assemblée à deux reprises entravant ainsi la gestion sociale et paralysant la vie de la société (CA Paris 8 novembre 1996, RJDA 2/97 som. N° 219) ;

-  les deux cogérantes refusent de collaborer, chacune d’elles manifestant le désir d’entraver la gestion de l’autre et provoquant la division des associés en deux clans, ce qui avait paralysé la vie de la société et entraîné la nomination d’un administrateur provisoire (CA Aix 9 juillet 1982, Bull cour Aix 1982/2, p. 97)

[6] Pour les sociétés anonymes, l’article 283 alinéa 4 du CSC dispose « L'assemblée générale peut, en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs membres du conseil d'administration, du directoire, ou du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ».

[7] CA Paris 26 janvier 1987 ; Rapporté in Mémento pratique, sociétés commerciales, op. cit., § 864

[8] CA Versailles 7 janvier 1992, Bull. Joly 1992.553 note Saintourens

[9] J. M ESTRE, M.E. PANCRAZI, Droit commercial, Editions LGDJ, 25e édition, p. 287

[10] P. MERLE, Droit commercial, Sociétés commerciales, Editions DALLOZ, § 186

[11] Généralement, les statuts se limitent à indiquer le principe de la rémunération ainsi que sa forme (fixe, variable etc.). Le montant de la rémunération étant généralement fixé par l’assemblée générale ordinaire des associés.

[12] Dans le cadre des travaux préparatoires ayant précédé la promulgation du CSC (JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 2001-2000, N° 4, mardi 31 octobre, p. 87), le ministère a précisé ce qui suit concernant le droit du gérant à la rémunération pour la gérance :

السؤال 141 : ما هي أسباب عدم التنصيص على تأجير الوكيل أو عدم تأجيره مثلما هو منصوص عليه بالفصل 159 من المجلة التجارية ؟

الجواب : إن عدم التنصيص على أن الوكيل يمكن أن يكون مأجورا أو غير مأجور لا يعني منع إحدى الإمكانيتين، فكلاهما جائز عملا بالمبادىء العامة المتعلقة بالوكالة.

L’on remarquera cependant que la jurisprudence française a consacré au profit du gérant de la SARL un droit à l’obtention d’une rémunération. Dans un arrêt (Angers 27 mai 1964, JCP éd. CI, 1994.75047 ; Rapporté in La Revue fiduciaire, op. cit., p.65), il a été considéré que le gérant d'une SARL est fondé à demander au tribunal de fixer sa rémunération lorsque la situation créée par l'abstention ou le refus de certains associés de statuer sur cette question est de nature à compromettre la bonne marche de la société (au cas considéré, la rémunération du gérant ne pouvait statutairement être modifiée qu'à l'unanimité des associés et, en dépit de consultations successives, l'intéressé n'avait jamais pu obtenir une décision unanime). Dans un autre arrêt (Cass. com.13 juin 1977, BC IV n° 167 ; Rapporté in La Revue fiduciaire, op. cit., p.65), il a été jugé que la SARL peut être condamnée à payer une rémunération au gérant qui, en cette qualité, a réalisé un travail effectif et qui, du seul fait de sa désignation à ces fonctions, a encouru les risques de responsabilités, d'interdictions et de déchéances prévues par la loi et les statuts.

[13] cf. M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 443, G. RIPERT, Traité élémentaire de droit commercial, 10ème édition par R. ROBLOT, Editions L.G.D.J, 1986, p. 68

[14] Les dispositions de la l’article 50 de la loi française du 24 juillet 1966 sont dans leur ensemble analogues à celles de l’article 115 du CSC sauf que ledit article 50 prévoit un contrôle à priori des conventions conclues par un gérant non associé lorsque la société ne possède pas un commissaire aux comptes et qu’il exclut de la procédure de contrôle les conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales.

[15] Comm. 30 mai 1989, JCP éd. E 1990, n° 15811, p. 426; Rapporté in La Revue Fiduciaire, RF N° 852, mai 1998, p. 65

[16] Mais le gérant-associé sera tenu pour responsable, individuellement et solidairement s'il y a lieu; des dommages subis par la société de ce fait.

[17] Y. GUYON, op. cit., p. 519

[18] M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 442

[19] La jurisprudence française a considéré que la cession par une société de presse d’un hebdomadaire qui portait la même dénomination que celle de la société implique nécessairement une modification des statuts et relevait de la compétence exclusive de l’assemblée générale des associés (Cass. Com. 12 janvier 1988, Rev. soc. 1988.263 note Chaput ; rapporté in Mémento pratique, sociétés commerciales, op.cit., § 878).

[20] Régissant les conventions réglementées dans la SA, l’article 200 du CSC dispose « Sont dispensées de l'autorisation et de l'approbation ci­-dessus indiquées les conventions portant sur les opérations courantes nécessaires à la réalisation de l'objet social ».

[21] Comparé aux dispositions de la loi du 24 juillet 1966, l’on notera que l’article 115 du CSC a repris les  dispositions de l’article 50 de la loi française sans reprendre celles édictées par l’article 50-1 ajoutées par la loi du 11 juillet 1985 et disposant « les dispositions de l’article 50 se sont pas applicables aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales ».

[22] On peut s’interroger s’il y a lieu d’écarter l’application de l’article 115 du CSC dés lors qu’une société appartient à un groupe de société et qu’elle répond aux conditions édictées par l’article 475 du CSC ou bien faut-il combiner l’application des deux articles ? La première acception semble la plus probable.

[23] Traitant de la SNC, l’article 63 du CSC dispose « Les gérants ne peuvent, sans autorisation spéciale des associés, passer pour leur compte personnel des marchés ou entreprises avec la société. L'autorisation doit être au besoin renouvelée tous les ans ».

[24] Traitant la SA, l’article 200 du CSC dispose « Le président ou le directeur général, les directeurs généraux adjoints et les membres du conseil d'administration ne peuvent contracter avec la société ou avec les tiers les conventions suivantes, à moins qu'ils n'aient obtenu l'autorisation du conseil d'administration et l'approbation de l'assemblée générale ».

[25] Dans la société anonyme, l’approbation des conventions réglementées peut être faite dans le cadre de l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire (cf. article 200 du CSC).

[26] Une réponse positive produirait trois conséquences : D’abord, le vote des associés doit intervenir dans un délai maximal de 3 mois à compter de la clôture de l'exercice (Article 128 du CSC). Ensuite, la possibilité de procéder à une consultation écrite ne peut être envisagée en considérant que le vote des conventions doit intervenir lors de l’assemblée générale ordinaire statuant sur les comptes annuels (Article 126 du CSC). Enfin, le rapport sur les conventions réglementées peut être soumis à l’obligation de communication par lettre recommandée avec accusé de réception prévue par l’article 128 du CSC.

[27] Cass. com. 28 juin 1988, Bull. IV, n° 226; Rapporté in Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., § 919

[28] Selon la jurisprudence française, la participation de l’associé ou du gérant intéressé par la convention au vote constitue un cas d’approbation irrégulière de la convention (Cass. com. 13 février 1996, RJDA 5/96, n° 646 ; Rapporté in Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., § 919).

[29] Il convient de lire « prêts ».

[30] M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 443

[31] Y. GUYON, op. Cit., p. 523

[32] La responsabilité quasi-délictuelle du gérant envers un tiers est exceptionnelle.

[33] Selon les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 52 de la loi française du 24 juillet 1966, « les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages intérêts sont alloués ».

[34] L’article 117 du CDPF dispose : « Les peines d’emprisonnement, prévues par les Articles 92, 94, 97, 98, 99 et 101 du présent code, s’appliquent pour les personnes morales, personnellement à leurs présidents, mandataires, directeurs ou toute autre personne ayant qualité de représenter l’être moral et dont la responsabilité dans les faits commis est établie ».

[35] Le CSC a prévu des sanctions pénales spécifiques à l’associé unique, gérant de la SUARL (cf. articles 158 & 159 du CSC).

Chapitre 2 : La gérance de la SARL

 

Chapitre 2 :

La gérance de la Société A Responsabilité Limitée

 

Sommaire

Section 1 : Nomination des gérants

§ A. Conditions de nomination

1. Conditions relatives à la personne du gérant

2. Conditions de forme

3. Conditions statutaires

§ B. Modes de nomination

1. Le gérant statutaire

2. Le gérant nommé par acte séparé

§ C. Durée des fonctions du gérant

§ D. Modes d’acceptation des fonctions de gérant

Section 2 : Cessation des fonctions des gérants

§ A. Formes de cessation des fonctions des gérants

1. Cessation par l’arrivée du terme

2. Révocation des gérants

3. Démission des gérants

4. Survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant

§ B. Publicité de la cessation des fonctions de gérant

Section 3 : Rémunération des gérants

1. Les modalités de fixation de la rémunération du gérant

2. Participation ou non du gérant associé au vote pour la fixation de sa rémunération

Section 4 : Pouvoirs du gérant

§ A. Rapports avec les associés

1. Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés

2. Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant

§ B. Rapports avec les tiers

1. Sort des actes qui entrent dans l’objet social

2. Sort des actes qui dépassent l’objet social

3. Sort des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant

4. Sort des actes qui entrent légalement dans la compétence de l’assemblée générale des associés

§ C. Rapports avec la société

1. Les conventions réglementées

2. Les conventions interdites

§ D. Cas de pluralité de gérants

1. Rapport avec les associés

2. Rapports avec les tiers

3. Responsabilité envers la société

Section 5 : La responsabilité civile des gérants

§ A. Causes de la responsabilité

1. Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée

2. Les violations des statuts

3. Les fautes commises dans la gestion

§ B. L’action en responsabilité

1. L’action sociale

2. L’action individuelle

§ C. Prescription des actions en responsabilité

Section 6 : La responsabilité pénale des gérants

 

 

Deuxième Chapitre

La gérance de la Société A Responsabilité Limitée

 

Le fonctionnement de la SARL est articulé autour de trois organes ; les gérants, les associés et le commissaire aux comptes (Ce troisième organe n’est pas toujours obligatoire).

La gérance est probablement l'organe essentiel de la SARL. Bien que la comparaison ne soit qu'approximative, la gérance représente dans la SARL « le pouvoir exécutif[1] ».

Section 1 : Nomination des gérants

§ A. Conditions de nomination

1. Conditions relatives à la personne du gérant

a) Le gérant doit être une personne physique

Seules les personnes physiques peuvent avoir la qualité de gérant d’une SARL (Article 112 CSC). Les personnes morales ne peuvent donc assumer les fonctions de gérant.

b) Le gérant doit être capable

Bien que le gérant n’ait pas la qualité de commerçant[2], il doit être capable pour pouvoir assumer la gérance de la SARL.

c) Incompatibilités et interdictions

Certains délits ou crimes sont assortis de la sanction d’interdiction de gérer des sociétés. Aussi, la gérance est interdite aux faillis non réhabilités (Article 456 Code de Commerce).

La fonction de gérant est aussi incompatible avec l’exercice de certaines professions libérales[3] (ex. comptables, experts comptables, avocats etc.).

Les personnes ayant occupé la fonction de commissaires aux comptes dans une SARL ne peuvent pas occuper des fonctions de gérant de cette SARL pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions[4].

d) Le gérant peut ne pas être associé

Le ou les gérants peuvent être désignés parmi les associés ou parmi des tiers (Article 112 CSC).

Cependant comme, nous allons le voir, les statuts pourront valablement exiger la qualité d’associé pour le gérant .

2. Conditions de forme

La nomination des gérants doit être soumise aux formalités de dépôt et de publicité (Article 16 CSC). La publicité est faite par une insertion au Journal Officiel de la République Tunisienne et dans deux journaux quotidiens dont l'un est publié en langue arabe et ce, dans un délai d'un mois à partir soit de la constitution définitive de la société, soit de la date du procès verbal de l'assemblée générale ayant procédé à la nomination (Article 15 CSC).

3. Conditions statutaires

Ces derniers peuvent aussi prévoir toute catégorie de restrictions quant à la qualité du gérant. A titre d’exemples, les statuts peuvent valablement :

-      exiger la qualité d’associé pour le gérant ;

-      exiger un diplôme ou une limite d’âge ;

-      spécifier que le gérant ne pourra pas accepter une autre gérance sans s’y être autorisé par une décision collective des associés ;

-      disposer que le gérant doit consacrer tout son temps et tous ses soins à la société ;

-      interdire qu’il gère une autre société ;

-      etc.

Par ailleurs, le nombre de gérants est librement fixé par les statuts.

§ B. Modes de nomination

Le ou les gérants peuvent être désignés dans les statuts ou par un acte postérieur (Article 112 CSC).

1. Le gérant statutaire

Le gérant est désigné en qualité de gérant statutaire (c’est à dire, le nom du gérant doit figurer dans les statuts) :

1.   Soit au moment de la constitution de la société : Dans ce cas, la nomination est logiquement faite à l’unanimité des associés (étant donné que les statuts établis par acte sous seing privé ou acte authentique doivent obligatoirement être signés par tous les associés lors de la constitution)

2.   Soit au cours de la vie sociale : Dans ce cas, cette nomination doit faire l’objet d’une délibération approuvée par les associés représentant les trois quarts au moins des parts sociales et réunis en assemblée générale extraordinaire.

Si un premier gérant avait été désigné dans les statuts, la nomination d'un gérant statutaire supplémentaire exigerait une modification des statuts.

2. Le gérant nommé par acte séparé

Le gérant nommé par acte séparé grâce à une délibération  votée par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié du capital social.

§ C. Durée des fonctions du gérant

La durée du mandat du gérant est fixée par les statuts ou bien au niveau de l’acte de nomination.

En cas de silence des statuts ou de la décision de nomination, la durée du mandat du gérant sera de trois ans renouvelables (Article 112 CSC).

§ D. Modes d’acceptation des fonctions de gérant

Aucun texte ne fixe le mode d’acceptation des fonctions de gérant. En l’absence d’une disposition précise au niveau du pacte social, cette acceptation peut être :

-     Expresse : Dans ce cas, elle résulte de sa signature au pied de la décision précédée de la mention « bon pour acceptation des fonctions de gérant ». Le gérant déclare qu’aucune interdiction, mesure ou décision quelconque ne fait obstacle à l’exercice de ses fonctions.

-     L’acceptation des fonctions peut également être tacite.

Section 2 : Cessation des fonctions des gérants

§ A. Formes de cessation des fonctions des gérants

1. Cessation par l’arrivée du terme

Les fonctions du gérant cessent à l’expiration de la période pour laquelle ils ont été nommés dans les statuts ou dans un acte séparé.

Sauf disposition contraire des statuts, les gérants sont rééligibles.

2. Révocation des gérants

a) Conditions de révocation

Gérant statutaire

Le gérant statutaire est révocable par une décision prise par un ou plusieurs  associés (réunis en assemblée générale extraordinaire) représentant au moins les trois quarts du capital social.

Gérant non statutaire

Le gérant nommé par acte séparé est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié du capital social.

Révocation judiciaire

Le ou les associés représentant le quart du capital social au moins peuvent intenter une action devant le tribunal compétent tendant à obtenir la révocation du gérant pour cause légitime[5].

On peut se demander si la révocation des gérants peut être décidée sans que la question ne figure à l’ordre du jour[6].

Selon la jurisprudence française, la révocation peut être prononcée à la suite d’incidents graves et imprévus (« incidents de séance ») sans même que la question ne figure à l’ordre du jour de l’assemblée[7]. Cette jurisprudence a nuancé sa position en considérant que la décision de révocation doit être annulée lorsqu’elle a été prise sans que cette question ait été inscrite à l’ordre du jour alors qu’aucun motif grave et légitime et aucune urgence ne justifiait ce comportement[8].

b) Participation du gérant associé au vote

Faute d’une disposition légale l’écartant du scrutin, le gérant associé dont la révocation est proposée à l’assemblée, participe au vote.

Cette règle conduit au constat suivant : Un gérant statutaire détenant un quart du capital social ou un gérant non statutaire détenant la moitié du capital social sont irrévocables de fait par les associés. Cependant, et afin d’éviter « l’inamovibilité[9] » du gérant, tout associé invoquant « une cause légitime » peut s’adresser au juge pour demander la révocation du gérant.

3. Démission des gérants

Aucun texte n’organise les conditions de démission des gérants. Rien n’empêche les gérants de démissionner[10]. Les statuts peuvent organiser cette démission en prévoyant des procédures visant à éviter les conséquences dommageables d’un départ inopiné des gérants (ex. en prévoyant l’obligation au gérant démissionnaire de notifier sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception au commissaire aux comptes et au gérant demeuré en fonction, ou à tous les associés, individuellement, un certain nombre de mois à l’avance ou en prévoyant l’obligation de convoquer les associés en assemblée en vue de la nomination de son successeur etc.)

4. Survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant

En cas de survenance d’évènements faisant obstacle à l’exercice des fonctions de gérant (incapacité, interdiction, incompatibilité, faillite etc.), le gérant doit obligatoirement démissionner ; sinon, il risque la révocation judiciaire pour juste motif.

Cette forme de cessation de fonctions des gérants inclut également le décès du gérant.

§ B. Publicité de la cessation des fonctions de gérant

La cessation des fonctions de gérant doit être soumise aux formalités de dépôts et de publicité (Article 16 CSC). La publicité est faite par une insertion au Journal Officiel de la République Tunisienne et dans deux journaux quotidiens dont l'un est publié en langue arabe et ce, dans un délai d'un mois à partir de cette cessation (Article 15 CSC).

Section 3 : Rémunération des gérants

1. Les modalités de fixation de la rémunération du gérant

S’agissant de mandataires sociaux, les gérants ont droit à rémunération. On retrouvera dans le droit commun une disposition interdisant à « l’associé administrateur » d’obtenir une rémunération non convenue. En effet, l’article 1280 du COC dispose « L’associé administrateur n’a pas droit à une rétribution spéciale à raison de sa gestion, si elle n’est pas expressément convenue. Cette disposition s’applique aux autres associés, pour le travail qu’ils accomplissent dans l’intérêt commun ou pour les services particuliers qu’ils rendront à la société et qui ne rentrent pas dans leurs obligations comme associés ».

Le CSC ne contient aucune disposition fixant le mode de détermination et de calcul de la rémunération.

Cette tâche appartiendra donc aux statuts ou bien aux associés réunis en assemblée générale ordinaire[11]. En effet, le prélèvement d’une rémunération sur les fonds sociaux sans qu’une clause statutaire ou une décision collective n’en fixe le montant ou les modalités de calcul risque de constituer un délit d’abus de biens de la société[12].

2. Participation ou non du gérant associé au vote pour la fixation de sa rémunération

Il n’existe aucune disposition législative interdisant expressément au gérant associé de prendre part au vote pour la fixation de sa rémunération.

Seulement, l’article 115 du CSC dispose « Toute convention intervenue directement ou par personne interposée entre la société et son gérant associé ou non, (…) devra faire l'objet d'un rapport présenté à l'assemblée générale (…). L'assemblée générale statue sur ce rapport, sans que le gérant ou l'associé intéressé puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité ».

Ainsi, le gérant associé ne participera pas au vote si l’on admet le caractère conventionnel de sa rémunération. Dans le cas contraire, le gérant aura le droit de participer au vote.

Sur la question de savoir si la rémunération du gérant constituait une convention réglementée, une large partie de la doctrine répond par la négative invoquant le caractère institutionnel de la fonction, le fait que dans les SA la rémunération du PDG ne constitue pas une convention réglementée et finalement parce que le gérant en cette qualité, n’est pas lié par la société par un contrat[13].

Dans un arrêt du 30 mai 1989, la Cour de cassation française a confirmé le point de vue selon lequel la rémunération du gérant ne constituait pas une convention réglementée en estimant que « la décision de l'assemblée des associés d'une société à responsabilité limitée accordant dans des conditions normales au gérant des gratifications, qui font partie de sa rémunération, ne constitue pas une convention entrant dans les prévisions de l'article 50[14]... »[15].

Par ailleurs, si l’on suppose que la rémunération du gérant constitue une convention entrant dans le champ d’application de l’article 115 du CSC, on se heurtera à la logique même de cet article qui ne prévoit qu’un contrôle à posteriori desdites conventions. 

L’inclusion de la rémunération du gérant dans le champ d’application de la procédure de l’article 115 du CSC (où le gérant associé est privé du droit de vote) est, en outre, un facteur d’insécurité juridique. Il est aberrant de remettre le pouvoir décisionnel à la minorité des associés pour une question aussi importante que celle de la fixation de la rémunération de la gérance sachant que cette minorité est protégée contre les décisions abusives de la majorité aussi bien au civil (action sociale) qu’au pénal (délit d’abus de pouvoir).

On peut aussi souligner l’inefficacité de la mise en œuvre des dispositions de l’article 115 du CSC pour ce qui est de la rémunération du gérant. En effet et même dans l’hypothèse où les dispositions de  cet article 115 du CSC seraient invoquées contre un gérant associé, la désapprobation de sa rémunération par le reste des associés est sans effet ; Cet article considère que « les conventions non approuvées produisent leurs effets[16] ».

Section 4 : Pouvoirs du gérant

§ A. Rapports avec les associés

On peut distinguer entre deux hypothèses :

-     Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés.

-     Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant.

1. Les statuts fixent les pouvoirs des gérants dans leurs rapports avec les associés

L’article 113 du CSC donne toute la latitude aux associés pour fixer au niveau du pacte social toute limitation statutaire au pouvoir du gérant.

A titre d’exemple, les statuts pourront prescrire une autorisation préalable de l’assemblée générale au titre de certaines opérations tels que les cautions solidaires ou avals au profit d'un tiers, la constitution d’hypothèques sur un immeuble social, le nantissement du fonds de commerce de la société etc.

Si le gérant méconnaît une clause statutaire limitant son pouvoir, il engage sa responsabilité vis-à-vis des autres associés. Ceux-ci peuvent, en effet, réclamer réparation du préjudice causé par la violation des limitations statutaires. En outre, le comportement du gérant serait un juste motif de révocation[17].

2. Les statuts ne contiennent aucune clause limitant les pouvoirs du gérant

Dans cette hypothèse, l’article 113 du CSC autorise le gérant à « effectuer tous les actes relevant de l'objet de la société et dans l'intérêt de celle-ci ».

Le législateur impose une limitation légale aux pouvoirs du gérant qui ne peut effectuer ni des actes qui ne relèvent pas de l’objet social, ni des actes contraires à l’intérêt social.

Le gérant doit aussi respecter les prérogatives attribuées par la loi aux assemblées générales des associés.

§ B. Rapports avec les tiers

Le CSC a mis en place des dispositions qui mettent les tiers pratiquement à l’abri de toute surprise en traitant avec le gérant régulièrement désigné.

1. Sort des actes qui entrent dans l’objet social

Aux termes de l’article 114 du CSC, la société est engagée par tous les actes accomplis par le gérant et relevant de l'objet social.

2. Sort des actes qui dépassent l’objet social

Les actes du gérant qui dépassent l'objet social engagent la société à l'égard des tiers sauf s'il a été prouvé que le tiers ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances. La simple publication des statuts ne peut être considérée comme une preuve de cette connaissance (Article 114 CSC).

3. Sort des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant

Les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers même en cas de publication des statuts (Article 114 CSC).

Selon la doctrine française, « ces limitations n’ont donc aucun effet vis-à-vis des tiers, quand bien même ceux-ci seraient de mauvaise foi et connaîtraient l’existence de telles clauses[18] ».

4. Sort des actes qui entrent légalement dans la compétence de l’assemblée générale des associés

Les tiers sont censés ne pas ignorer la loi. Ils sont donc censés connaître que le gérant ne peut pas s’immiscer dans les prérogatives exclusives revenant aux assemblées générales des associés (ex. le gérant ne peut pas modifier les statuts).

La société n’est pas alors engagée lorsque son contractant savait que le gérant commettait un acte entraînant la modification des statuts[19].

§ C. Rapports avec la société

Le pouvoir d’engager la société dont dispose le gérant est assorti d’un mécanisme de contrôle de gestion. Ce dernier est mis en œuvre parallèlement au mécanisme de la responsabilité civile et pénale (v. infra).

Dans ses rapports avec la société, le gérant est tenu de respecter une procédure de contrôle de certaines conventions dites réglementées (§1). Il lui est interdit de conclure certaines conventions dites interdites avec la société (§2).

1. Les conventions réglementées

L’article 115 du CSC a prévu une procédure de contrôle consistant à soumettre au vote un rapport contenant les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son gérant associé ou non, et entre la société et ses associés.

L'assemblée générale statue sur ce rapport, sans que la personne intéressée par la convention puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité.

a) Champ d’application

Le contrôle des conventions réglementées inclut :

- Les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son gérant ou associé. La procédure de contrôle est applicable que le gérant soit associé ou non.

- Les conventions passées avec une société dont un associé solidairement responsable, gérant, administrateur, directeur général ou membre du directoire ou membre du conseil de surveillance est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée. L’article 115 du CSC in fine ne vise que les conventions conclues entre la SARL et une autre « société » ce qui devrait normalement exclure les conventions conclues avec toute personne n’ayant pas la qualité de société (ex. GIE ou une association).

Force est de reconnaître que le champ d’application de l’article 115 du CSC paraît très large. Comparé à la société anonyme, il inclut « les conventions portant sur les opérations courantes nécessaires à la réalisation de l'objet social[20] », ce qui n’est pas sans poser de réelles difficultés pratiques de recensement des conventions. La soumission des opérations courantes et conclues à des conditions normales aux procédures d’approbation ne présente aucune utilité pratique et ne fait qu’alourdir le fonctionnement de la SARL tout en renforçant unitilement la responsabilité du gérant[21].

Il faut néanmoins noter que la loi n°2001-117 du 6 décembre 2001, complétant le code des sociétés commerciales a prévu une procédure spécifique de contrôle des conventions intra-groupe de sociétés. Cette nouvelle procédure présente le mérite d’exclure toute « opération courante conclue à des conditions normales » de l’obligation de contrôle[22].

L’article 475 du CSC dispose « Lorsque deux sociétés ou plus appartenant à un groupe de sociétés ont les mêmes dirigeants, les conventions conclues entre la société mère et l'une des sociétés filiales ou entre sociétés appartenant au groupe sont soumises à des procédures spécifiques de contrôle consistant en leur approbation par l'assemblée générale des associés de chaque société concernée, sur la base d'un rapport spécial établi par le commissaire aux comptes pour les sociétés concernées soumises à l'obligation de désignation d'un commissaire aux comptes.

Le contrôle n'est pas obligatoire si la convention porte sur une opération courante conclue à des conditions normales ».

b) Mécanisme de contrôle

L’article 115 du CSC prévoit une procédure d’approbation des conventions réglementées qui doit être mise en place à posteriori. Contrairement à la société en nom collectif[23] et à la société anonyme[24], aucune obligation n’est faite au gérant d’obtenir une autorisation préalable avant de conclure la convention envisagée.

La loi prévoit la soumission au vote de l’assemblée d’un rapport qui doit être présenté à l'assemblée générale soit par le gérant, soit par le commissaire aux comptes s'il en existe un.

Le législateur n’a pas précisé l’assemblée à laquelle ledit rapport doit être présenté[25]. Quoiqu’il en soit, l’approbation intervient à la majorité de plus de la moitié du capital.

On peut se demander si ce rapport doit être obligatoirement présenté à l’assemblée annuelle chargée d’approuver les comptes[26].

Aucune disposition juridique ne prescrit expressément le vote des conventions réglementées lors de l’assemblée annuelle. L’approbation des conventions réglementées peut donc intervenir après l’expiration du délai susvisé de 3 mois, elle peut être faite par consultation écrite. Le rapport sur les conventions réglementées n’est pas soumis à l’obligation d’envoi par la lettre recommandée avec accusé de réception vingt jours avant la date de l’assemblée appelée à statuer sur ces conventions.

Par ailleurs, l’article 115 du CSC prévoit que l'assemblée générale statue sur le rapport, sans que le gérant ou l'associé intéressé ne puisse prendre part au vote, ou que leurs parts soient prises en compte pour le calcul du quorum ou de la majorité.

Le fait que les parties intéressées par les conventions soient écartées du scrutin, permet de conclure qu’un vote spécifique pour chaque convention doit intervenir d’une manière séparée. En effet, il n’est pas possible qu’un rapport impliquant plusieurs associés soit voté dans son ensemble en respectant l’obligation d’exclure les parties intéressées du vote de leurs conventions.

La non-participation au vote pose aussi, une difficulté pratique concernant les conventions intéressant l’unanimité des associés. De telles conventions ne seront votées par aucun associé lors de l’assemblée générale.

c) Conséquences du vote sur les conventions réglementées

Quelles soient approuvées ou désapprouvées, les conventions produisent pleinement, leurs effets. Cependant, lorsque les conventions sont désapprouvées, le gérant ou l'associé contractant seront tenus pour responsables, individuellement et solidairement s'il y a lieu des dommages subis par la société de ce fait (Article 115 du CSC).

La jurisprudence française considère, dans un arrêt de principe[27], que les conventions désapprouvées par les associés, soit qu’elles ne leur aient pas été soumises, soit qu’elles aient été rejetées par eux, soit encore qu’elles aient été approuvées dans des conditions irrégulières[28] produisent leurs effets, à charge par le gérant ou l’associé contractant de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.

2. Les conventions interdites

Aux termes de l’article 116 du CSC, il est interdit à la société d'accorder des emprunts[29] à un gérant sous quelque forme que ce soit ainsi que de cautionner ou d'avaliser ses engagements envers les tiers. L'interdiction s'étend aux représentants légaux des personnes morales associées ainsi qu'aux conjoints, ascendants et descendants des personnes visées ci‑dessus.

Contrairement au droit français, l’interdiction concerne uniquement les gérants ce qui exclut les conventions bénéficiant aux associés non-gérants.

Mais l’interdiction concerne les représentants légaux des personnes morales associées ainsi qu'à leurs conjoints, ascendants et descendants.

Tout intéressé peut se prévaloir de la nullité de l'acte conclu en violation des dispositions ci-dessus (Article 116 du CSC). La nullité prévue ici est absolue et d’ordre public. Elle peut être invoquée par les associés ou les tiers qui justifient d’un intérêt personnel, légitime et juridiquement établi. La société pourrait normalement opposer cette nullité aux tiers censés, en effet, ne pas méconnaître la loi.

§ D. Cas de pluralité de gérants

1. Rapport avec les associés

En cas de pluralité de gérants, les statuts organisent généralement une répartition des tâches entre les cogérants.

Dans ce cas, les gérants doivent respecter cette organisation.

En l’absence de telles dispositions statutaires, chaque gérant peut agir séparément.

2. Rapports avec les tiers

a) Règle générale

La situation où il y aurait pluralité de gérants reçoit les mêmes règles qu’en cas de gérant unique :

- La société est toujours engagée par tous les actes accomplis par les gérants et relevant de l'objet social. Les actes de l’un des gérants qui dépassent l'objet social engagent la société à l'égard des tiers sauf s'il a été prouvé que le tiers ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances.

- L’organisation statutaire des pouvoirs entre gérants est sans effet vis-à-vis des tiers (ex. si les statuts prévoient une signature conjointe sur tous les documents sociaux, la société demeure toujours engagée par les actes accomplis par un gérant au mépris de cette règle. Dans ce cas, le gérant engage sa responsabilité vis-à-vis des autres associés pour le préjudice causé par la violation des règles statutaires).

b) Exception : l’opposition formée par un gérant sur les actes de son cogérant

L’article 114 du CSC considère que l'opposition formée par un gérant aux actes d'un autre gérant est sans effet à l'égard des tiers, à moins qu'il ne soit établi qu'ils en aient eu connaissance.

Par prudence, le gérant opposant aura intérêt à notifier au tiers son opposition par lettre recommandée avec accusé de réception ou par exploit d’huissier.

« Ainsi, le cogérant qui apprend fortuitement qu'un de ses collègues projette de passer un contrat qu'il estime contraire à l’intérêt social peut informer le tiers cocontractant de son opposition; si le tiers passe outre et conclut néanmoins ledit contrat, il ne pourra pas exiger de la société son exécution. Il existe d'ailleurs un devoir de surveillance à l'égard des cogérants; le défaut de surveillance peut être une cause de responsabilité invoquée à l'encontre du cogérant insouciant[30] ».

3. Responsabilité envers la société

Si les faits générateurs de responsabilité sont l'œuvre de plusieurs gérants, l’article 117 du CSC prévoit une responsabilité individuelle ou solidaire selon le cas (يكون الوكيل أو الوكلاء مسؤولين فرادى أو بالتضامن فيما بينهم بحسب الحالات). Par conséquent, le tribunal décide dans un premier lieu si les gérants sont solidaires auquel cas il détermine la part contributive de chacun d'eux dans la réparation du dommage.

Section 5 : La responsabilité civile des gérants

§ A. Causes de la responsabilité

Aux termes de l’article 117 du CSC, le ou les gérants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit de fautes commises dans leur gestion.

La responsabilité des dirigeants sociaux, peut être engagée en vertu d’autres régimes juridiques spéciaux (ex. comblement du passif en cas de faillite, responsabilité sociale et fiscale etc.)

En application des dispositions du CSC, les gérants engagent leur responsabilité pour trois causes :

- Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée ;

- Les violations des statuts ;

- Les fautes commises dans la gestion.

En tout état de cause, la mise en jeu de la responsabilité implique l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

1. Les infractions aux dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée 

En cas d’inobservation des dispositions légales, la responsabilité du gérant peut être mise en œuvre (ex. inobservation des formalités de convocation et de tenue des assemblées, non-respect des dispositions régissant les conventions réglementées, défaut d’accomplissement de la publicité légale etc.).

2. Les violations des statuts 

Lorsque les statuts comportent des dispositions particulières organisant la vie de la société, le gérant est tenu de les respecter au risque de voir sa responsabilité engagée (ex. non respect des limitations statutaires aux pouvoirs du gérant).

3. Les fautes commises dans la gestion

Il n’existe pas de définition légale des « fautes de gestion ». Celles-ci peuvent inclure certaines négligences ou imprudences. Elles peuvent aussi avoir pour origine des manœuvres frauduleuses. 

La doctrine reconnaît la difficulté d’appréciation des fautes de gestion. « En effet une responsabilité excessive risque de paralyser l'esprit d'initiative des gérants et par voie de conséquence le progrès économique. Il n'est pas d'homme d'affaires, si compétent, si diligent et, si prudent soit-il, qui ne commette des erreurs. Il faut donc comparer le comportement du gérant avec celui du dirigeant d’une entreprise de même importance, qui prend fréquemment des décisions sur des questions complexes sans choisir toujours la meilleure solution. La seule règle d'or est de se placer à la date de la faute prétendue pour apprécier ce comportement et ne pas accabler le gérant sous le poids d'une perspicacité rétroactive suscitée par la connaissance de la catastrophe finale[31] ».

La jurisprudence française a dressé un large éventail d’exemples de fautes de gestion (ex. assurances insuffisantes, conclusion d’un bail dans des conditions préjudiciables à la société, défaut de paiement des cotisations de la sécurité sociale alors que la trésorerie de la société permettait un tel paiement, négligences ayant conduit à condamner la société à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale etc.).

§ B. L’action en responsabilité

Le gérant peut engager sa responsabilité envers :

- La société pour réparer un préjudice subi par la société ; dans ce cas, l’action est dite action sociale ou ut-singuli ;

- Une autre personne (tiers[32] ou associé) pour réparer un préjudice personnel ; dans ce cas, l’action est dite action individuelle.

1. L’action sociale

a) Conditions d’exercice de l’action sociale

Les associés représentant le quart du capital social peuvent, en se groupant, intenter l'action sociale en responsabilité contre le ou les gérants responsables du préjudice. Toute modification de la quote-part sus-désignée des associés survenue après l'exercice de l'action en responsabilité ne peut avoir pour effet d'éteindre ladite action (Article 118 du CSC).

b) Caractère d’ordre public de l’action sociale

Aucun quitus ou clause n’est susceptible de paralyser l’exercice de l’action sociale. L’article 119 du CSC énonce ce caractère en réputant nulle et non avenue :

- toute clause statutaire ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée générale ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice de cette action.

- toute décision de l'assemblée générale ayant pour effet d'interdire l'exercice de l'action en responsabilité contre le gérant pour faute commise dans l'exercice de son mandat.

c) Bénéficiaire des dommages-intérêts

Contrairement à la loi française de 1966[33], le CSC n’a pas désigné le bénéficiaire des dommages intérêts en cas de succès de l’action sociale. Cela étant, c’est la société (et non pas les associés les demandeurs) qui devrait bénéficier de ces dommages et intérêts pour la simple raison que l’action a été intentée au nom de la société.

2. L’action individuelle

Chaque associé peut exercer individuellement l'action en responsabilité pour la réparation du préjudice subi personnellement (Article 118 du CSC).

Contrairement à l’action sociale, cette action tend à réparer un préjudice subi personnellement par un associé ou un tiers.

§ C. Prescription des actions en responsabilité

Les actions en responsabilité prévues aux articles 117 à 119 du CSC se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable, ou s'il a été dissimulé, à compter de sa révélation. Lorsque le fait est qualifié de crime, l'action se prescrit par dix ans (Article 120 du CSC).

Section 6 : La responsabilité pénale des gérants

Les gérants sont exposés à plusieurs chefs de responsabilité pénale. A titre d’exemple, les gérants sont exposés aux sanctions fiscales pénales prévues par le Code des Droits et Procédures Fiscaux[34].

Nous-nous limiterons dans ce cours à étudier les infractions pénales propres aux gérants et qui sont sanctionnées par le CSC[35] :

Article

Infraction et peine

Article 20 du CSC

Nonobstant les dispositions des articles 14, 18 et 19 du présent code, l'inobservation des formalités de publicité sus – mentionnées expose les dirigeants sociaux qui en ont la charge à une sanction d'amende de trois cent à trois mille dinars.

Article 145 du CSC

Sont punis d'un emprisonnement de seize jours à six mois ou d'une amende de 1.000 à 3.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement, les gérants qui directement ou par personnes interposées, ont ouvert une souscription publique à des valeurs mobilières quelle qu'en soit la catégorie pour le compte de la société.

Article 146 du CSC

Sont punis d'un emprisonnement d'un an à 5 ans et d'une amende de 500 à 5.000 dinars :

  1. les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l'acte constitutif de la société ou lors d'une augmentation du capital social font sciemment de fausses déclarations.
  2. les personnes qui ont sciemment et de mauvaise foi, font attribuer à des apports en nature une évaluation supérieure à leur valeur réelle.
  3. les gérants qui, en l'absence de toute distribution du reliquat des dividendes, ont sciemment présenté aux associés des comptes annuels ne reflétant pas la véritable situation de la société ou qui, de mauvaise foi ont fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle‑ci, dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement, ou ils font usage de pouvoirs qu'ils détenaient ou des voix qui étaient en leur possession et qu'ils savaient contraire à l'intérêt de la société dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.

Article 147 du CSC 

Sont punis d'une amende de 500 à 5.000 dinars les gérants qui :

1)   n'ont pas établi pour chaque exercice un inventaire, un bilan ou un rapport de gestion.

2)   n'ont pas convoqué l'assemblée des associés au moins une fois par un an.

3)   n'ont pas communiqué aux associés un mois avant la tenue de l'assemblée générale, le bilan de l'exercice, le rapport de gestion, les décisions proposées, et le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes.

4)   n'ont pas consulté les associés en vue de prendre les mesures nécessaires dans le mois qui suit l'approbation des comptes, lesquels ont fait apparaître que les fonds propres de la société sont au-dessous de la moitié du capital social suite aux pertes subies.

5)   n’ont pas respecté les dispositions de l'article 123 du présent code.

 



[1] Y. GUYON, Droit des affaires, Tome 1, Droit commercial général et sociétés, Editions Economica, 9ème édition, 1996, p. 511

[2] Contrairement aux associés dans la SNC (Article 55 du CSC), au PDG (Article 213 du CSC), au directeur  général (Article 217 du CSC) dans la SA, aux commandités dans la société en commandite simple (Article 67 du CSC) ou par actions  (Article 390 du CSC), aucun texte ne donne la qualité de commerçant au gérant de la SARL (pour l’application des dispositions relatives à la faillite).

[3] A moins qu’il s’agisse de gérants de sociétés ayant pour objet l’exercice de ces professions libérales.

[4] Cette incompatibilité résulte de la combinaison des dispositions des articles 125 et 263 du CSC.

-     Dans tous les cas, les commissaires aux comptes sont désignés pour une période de trois ans. Leurs pouvoirs, fonctions, obligations et responsabilités, de même que les conditions de leur révocation et de leur rémunération sont fixés selon les dispositions des articles 259 à 273 du présent code. Il en est de même pour le régime des incompatibilités et des interdictions (Article 125 CSC).

-     Les commissaires aux comptes ne peuvent être nommés administrateurs ou membres du directoire des sociétés qu'ils contrôlent pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions (Article 263 CSC).

[5] Aucune définition n’est donnée de la notion de cause légitime (سبب مشروع ). Dans le cadre des travaux préparatoires ayant précédé la promulgation du CSC (JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 2001-2000, N° 4, mardi 31 octobre, p. 87), le ministère a précisé ce qui suit concernant la cause légitime :

السؤال 153 : تسأل اللجنة عن المقاييس التي سيتم إعتمادها لتحديد مفهوم مشروعية السبب الذي ينجر عنه عزل الوكيل وتقدير وجاهة ذلك السبب ؟

الجواب : إن مشروعية السبب الداعي للعزل تقدر بالنظر إلى الغاية التي تم من أجلها تعيين الوكيل، فالفشل في التوصل إلى تلك الغاية التي تم تعيين الوكيل من أجلها لإسباب غير خارجة عن إرادته أو لأسباب خاصة به (كأن يتعرض الوكيل إلى ما يصيره عاجزا بدنيا أو ذهنيا عن القيام بشؤون الشركة) بحيث يمكن لمن عداه تحقيق تلك الغايات كل ذلك يمثل سببا مشروعا للعزل، فالمشروعية تقدر على ضوء الموازنة بين غايات الشركة والظروف المتاحة للوكيل لتحقيقها.

أما  تقدير وجاهة السبب فتبقى دائما للقاضي، إذا تم العزل وقام الوكيل بدعوى التعويض معتبرا أن العزل كان لسبب غير مشروع، أو قام بعض الشركاء بدعوى في طلب عزل الوكيل، فإن القاضي هو الذي يقدر في النهاية وجاهة السبب.

La jurisprudence française donne les exemples suivants (exemples rapportés in Mémento pratique, sociétés commerciales, Editions Francis Lefebvre, 1998, § 866) :

-  le gérant a abandonné ses fonctions et a emporté un carnet de chèques de la société dont il se sert pour des motifs personnels (T. com. Paris réf. 18 juin 1974, Bull. Joly 1974.596) ;

-  le gérant détenant plus de la moitié du capital n’assiste pas aux assemblées depuis plusieurs années ; ce qui oblige son cogérant à convoquer chaque assemblée à deux reprises entravant ainsi la gestion sociale et paralysant la vie de la société (CA Paris 8 novembre 1996, RJDA 2/97 som. N° 219) ;

-  les deux cogérantes refusent de collaborer, chacune d’elles manifestant le désir d’entraver la gestion de l’autre et provoquant la division des associés en deux clans, ce qui avait paralysé la vie de la société et entraîné la nomination d’un administrateur provisoire (CA Aix 9 juillet 1982, Bull cour Aix 1982/2, p. 97)

[6] Pour les sociétés anonymes, l’article 283 alinéa 4 du CSC dispose « L'assemblée générale peut, en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs membres du conseil d'administration, du directoire, ou du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ».

[7] CA Paris 26 janvier 1987 ; Rapporté in Mémento pratique, sociétés commerciales, op. cit., § 864

[8] CA Versailles 7 janvier 1992, Bull. Joly 1992.553 note Saintourens

[9] J. M ESTRE, M.E. PANCRAZI, Droit commercial, Editions LGDJ, 25e édition, p. 287

[10] P. MERLE, Droit commercial, Sociétés commerciales, Editions DALLOZ, § 186

[11] Généralement, les statuts se limitent à indiquer le principe de la rémunération ainsi que sa forme (fixe, variable etc.). Le montant de la rémunération étant généralement fixé par l’assemblée générale ordinaire des associés.

[12] Dans le cadre des travaux préparatoires ayant précédé la promulgation du CSC (JORT, Débats de la Chambre des Députés, Session 2001-2000, N° 4, mardi 31 octobre, p. 87), le ministère a précisé ce qui suit concernant le droit du gérant à la rémunération pour la gérance :

السؤال 141 : ما هي أسباب عدم التنصيص على تأجير الوكيل أو عدم تأجيره مثلما هو منصوص عليه بالفصل 159 من المجلة التجارية ؟

الجواب : إن عدم التنصيص على أن الوكيل يمكن أن يكون مأجورا أو غير مأجور لا يعني منع إحدى الإمكانيتين، فكلاهما جائز عملا بالمبادىء العامة المتعلقة بالوكالة.

L’on remarquera cependant que la jurisprudence française a consacré au profit du gérant de la SARL un droit à l’obtention d’une rémunération. Dans un arrêt (Angers 27 mai 1964, JCP éd. CI, 1994.75047 ; Rapporté in La Revue fiduciaire, op. cit., p.65), il a été considéré que le gérant d'une SARL est fondé à demander au tribunal de fixer sa rémunération lorsque la situation créée par l'abstention ou le refus de certains associés de statuer sur cette question est de nature à compromettre la bonne marche de la société (au cas considéré, la rémunération du gérant ne pouvait statutairement être modifiée qu'à l'unanimité des associés et, en dépit de consultations successives, l'intéressé n'avait jamais pu obtenir une décision unanime). Dans un autre arrêt (Cass. com.13 juin 1977, BC IV n° 167 ; Rapporté in La Revue fiduciaire, op. cit., p.65), il a été jugé que la SARL peut être condamnée à payer une rémunération au gérant qui, en cette qualité, a réalisé un travail effectif et qui, du seul fait de sa désignation à ces fonctions, a encouru les risques de responsabilités, d'interdictions et de déchéances prévues par la loi et les statuts.

[13] cf. M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 443, G. RIPERT, Traité élémentaire de droit commercial, 10ème édition par R. ROBLOT, Editions L.G.D.J, 1986, p. 68

[14] Les dispositions de la l’article 50 de la loi française du 24 juillet 1966 sont dans leur ensemble analogues à celles de l’article 115 du CSC sauf que ledit article 50 prévoit un contrôle à priori des conventions conclues par un gérant non associé lorsque la société ne possède pas un commissaire aux comptes et qu’il exclut de la procédure de contrôle les conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales.

[15] Comm. 30 mai 1989, JCP éd. E 1990, n° 15811, p. 426; Rapporté in La Revue Fiduciaire, RF N° 852, mai 1998, p. 65

[16] Mais le gérant-associé sera tenu pour responsable, individuellement et solidairement s'il y a lieu; des dommages subis par la société de ce fait.

[17] Y. GUYON, op. cit., p. 519

[18] M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 442

[19] La jurisprudence française a considéré que la cession par une société de presse d’un hebdomadaire qui portait la même dénomination que celle de la société implique nécessairement une modification des statuts et relevait de la compétence exclusive de l’assemblée générale des associés (Cass. Com. 12 janvier 1988, Rev. soc. 1988.263 note Chaput ; rapporté in Mémento pratique, sociétés commerciales, op.cit., § 878).

[20] Régissant les conventions réglementées dans la SA, l’article 200 du CSC dispose « Sont dispensées de l'autorisation et de l'approbation ci­-dessus indiquées les conventions portant sur les opérations courantes nécessaires à la réalisation de l'objet social ».

[21] Comparé aux dispositions de la loi du 24 juillet 1966, l’on notera que l’article 115 du CSC a repris les  dispositions de l’article 50 de la loi française sans reprendre celles édictées par l’article 50-1 ajoutées par la loi du 11 juillet 1985 et disposant « les dispositions de l’article 50 se sont pas applicables aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales ».

[22] On peut s’interroger s’il y a lieu d’écarter l’application de l’article 115 du CSC dés lors qu’une société appartient à un groupe de société et qu’elle répond aux conditions édictées par l’article 475 du CSC ou bien faut-il combiner l’application des deux articles ? La première acception semble la plus probable.

[23] Traitant de la SNC, l’article 63 du CSC dispose « Les gérants ne peuvent, sans autorisation spéciale des associés, passer pour leur compte personnel des marchés ou entreprises avec la société. L'autorisation doit être au besoin renouvelée tous les ans ».

[24] Traitant la SA, l’article 200 du CSC dispose « Le président ou le directeur général, les directeurs généraux adjoints et les membres du conseil d'administration ne peuvent contracter avec la société ou avec les tiers les conventions suivantes, à moins qu'ils n'aient obtenu l'autorisation du conseil d'administration et l'approbation de l'assemblée générale ».

[25] Dans la société anonyme, l’approbation des conventions réglementées peut être faite dans le cadre de l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire (cf. article 200 du CSC).

[26] Une réponse positive produirait trois conséquences : D’abord, le vote des associés doit intervenir dans un délai maximal de 3 mois à compter de la clôture de l'exercice (Article 128 du CSC). Ensuite, la possibilité de procéder à une consultation écrite ne peut être envisagée en considérant que le vote des conventions doit intervenir lors de l’assemblée générale ordinaire statuant sur les comptes annuels (Article 126 du CSC). Enfin, le rapport sur les conventions réglementées peut être soumis à l’obligation de communication par lettre recommandée avec accusé de réception prévue par l’article 128 du CSC.

[27] Cass. com. 28 juin 1988, Bull. IV, n° 226; Rapporté in Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., § 919

[28] Selon la jurisprudence française, la participation de l’associé ou du gérant intéressé par la convention au vote constitue un cas d’approbation irrégulière de la convention (Cass. com. 13 février 1996, RJDA 5/96, n° 646 ; Rapporté in Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., § 919).

[29] Il convient de lire « prêts ».

[30] M. COZIAN, A. VIANDIER, op. cit., p. 443

[31] Y. GUYON, op. Cit., p. 523

[32] La responsabilité quasi-délictuelle du gérant envers un tiers est exceptionnelle.

[33] Selon les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 52 de la loi française du 24 juillet 1966, « les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages intérêts sont alloués ».

[34] L’article 117 du CDPF dispose : « Les peines d’emprisonnement, prévues par les Articles 92, 94, 97, 98, 99 et 101 du présent code, s’appliquent pour les personnes morales, personnellement à leurs présidents, mandataires, directeurs ou toute autre personne ayant qualité de représenter l’être moral et dont la responsabilité dans les faits commis est établie ».

[35] Le CSC a prévu des sanctions pénales spécifiques à l’associé unique, gérant de la SUARL (cf. articles 158 & 159 du CSC).